La réflexion sur les enjeux politiques de la littérature et de l’art a pris ces dernières années plusieurs tournants : elle s’inspire des études postcoloniales et subalternistes pour étudier la façon dont les textes prêtent leur voix à ceux qui en sont dépourvus, des études de traduction pour mettre en évidence la force subversive de la vie en « plus d’une langue », elle s’appuie sur la philosophie ranciérienne pour affirmer la politicité de l’art, elle identifie la politique de la littérature à sa capacité à critiquer, détourner ou enrayer le storytelling, ou elle réaffirme, par-delà la fascination contemporaine pour la catastrophe, le « potentiel » des arts (« Le potentiel recueille, à rebours des contraintes […], ce qui pourrait être, ce qui serait. Sa langue est celle d’une communauté brisée, découpée par de vieilles dispositions, une langue de traductions qui cherche à nous relier, nous disposer autrement, en accueillant toutes nos possibles dispositions, toutes nos plasticités, toutes nos migrances »[1]). L’hégémonie néolibérale et l’impasse des luttes actuelles imposent de penser à nouveaux frais l’action politique. Le sentiment de l’urgence d’agir coexiste avec celui de l’impuissance des types de pensée et des modes d’action éprouvés. Dans ces conditions, de nouvelles pensées de l’engagement émergent[2], la réflexion gagne les modes d’appropriation et de diffusion des œuvres[3] : l’exigence de leur portée politique est plus forte que jamais. Pourtant, la capacité de la littérature et des arts à produire des effets dans le monde n’a jamais semblé plus limitée qu’aujourd’hui.